Pendant des années, je me foutais du cinéma. J’ai toujours été cinéphile et j’adorais ça en spectateur, mais je ne ressentais pas l’envie d’aller y travailler. J’avais mon propre train électrique, beaucoup moins cher, beaucoup plus petit mais aussi beaucoup plus maniable que celui des gens du grand écran. Certes, je ne pouvais pas, dans l’économie de mon métier, trouver assez de sous pour tourner plus de cinq jours d’affilée et j’ai toujours été obligé de limiter mes ambitions et de simplifier mes scenarii. Certes, je n’avais pas le droit de jouer avec des acteurs ou actrices non-X — ils (elles) auraient refusé —, certes, je n’avais pas les moyens de m’offrir des décors onéreux ou des effets spéciaux, certes je n’avais droit qu’à une seule prise faute de temps, certes, je ne pouvais pas engager une équipe de super-techniciens ni jouer avec du matos de premier choix, des beaux travellings, des grues, du motion control. Certes, je n’ai jamais touché un sou du CNC, ni avance sur recettes ni aide d’aucune sorte et j’ai toujours payé la TVA plein pot sans bénéficier des déductions réservées aux sociétés de production « normales ». J’ai du apprendre à tout faire tout seul, le script, la production, le financement, l’image, le son, le montage, le mixage, l’étalonnage. Mais, en contrepartie, quelle paix royale j’avais ! Pas de patron, pas de juge, pas de dictat d’un distributeur exigeant telle ou telle modification du casting, telle ou telle coupe dans le montage. Pas de temps perdu à attendre qu’un dossier envoyé soit lu, modifié, relu, re-modifié, re-re-lu, re-re-modifié puis enfin, peut-être, approuvé, avant que les sous ne se libèrent. J’écrivais mon projet, je trouvais les quelques sous nécessaires, je choisissais mon casting, mes décors et vogue la galère.
Une ou deux fois, je me suis pris les pieds dans le tapis en m’engageant dans des projets trop ambitieux au lieu de me rogner les ailes dès le départ. J’ai ainsi raté « Sex Dreamers », un peu saboté quelques autres films parce que je m’étais pris pour Abel Gance et que j’avais sous-estimé la difficulté du tournage que je m’étais imposé. Mais, bon an mal an, je m’en sortais à peu près et cet « à peu près » me suffisait.
Je me souviens en avoir parlé avec Gaspar Noé qui me disait qu’il enviait la chance que j’avais de pouvoir tourner si souvent. Lui, il obtient aujourd’hui, grâce à son talent — immense — et à son opiniâtreté — impressionnante —, des moyens que je n’aurai jamais. Mais il lui faut des années d’attente entre chaque film. Cette attente me rendrait fou. J’ai trop besoin d’avoir une caméra dans les mains. De faire joujou.
Pendant des années, le seul fait d’être entouré d’acteurs et d’actrices et de construire un récit en images avec eux me remplissait d’enthousiasme. Même si le résultat ressemblait parfois à un spectacle de patronage, le sexe agissait comme une épice pour relever le plat et le rendre intéressant. J’ai vieilli, sans doute. J’ai usé mes jouets. Et le sexe, mille cinq cents vidéos et cent cinquante mille photos après mes débuts, n’a plus tout à fait le même parfum. Il a aujourd’hui comme un arrière-goût de réchauffé. Une gesticulation. Parfois, j’ai même l’impression saumâtre que le porno m’a rendu stupide. Eh quoi, j’écrivais des romans, il y a vingt ans. J’en ai pondu une douzaine, pas si mauvais que ça… Quand j’ai commencé dans le porno, en 1995, avec Sextet, Cyberix, French Beauty, je voulais faire la preuve que le sexuellement explicite n’était pas incompatible avec une bonne narration. Les Cahiers du cinéma, à l’époque de Thierry Jousse, disaient du bien de moi. Et depuis ? Où sont passés mes neurones ? Où est passée mon ambition ? Je suis devenu trouillard. Je me suis réfugié dans mon artisanat en voie de disparition.
L’assiette du voisin a toujours l’air meilleure que la sienne. Les gens du cinoche que je connais m’envient parce que je peux faire mumuse avec une matière première qui leur est interdite : la sexualité explicite. Et moi, je soupire dans mon coin parce que je les vois jouer avec les sentiments, le récit, l’image et la narration de manière beaucoup plus ambitieuse et plus aboutie que moi. Eux ne pourraient certainement pas réussir à s’adapter à des conditions de production aussi minables que les miennes. Mais moi, je pourrais surement être heureux avec un meilleur confort de travail. Il n’y a pas de mal à se faire du bien.
Et puis… après vingt-un films de boules de 90 minutes pour la télé, j’ai de plus en plus de mal, projet après projet, à éviter le sentiment de bégayer. Encore des galipettes ? Mais comment les présenter, cette fois ? Comment les mettre en scène ? Comment les rendre intéressantes et échapper au gonzo ? Comment faire du neuf avec cette même matière première ? Dans le porno, on est très forts pour montrer comment on baise, mais on est nuls, en général, pour expliquer « pourquoi » on baise et pour décrire les sentiments qui vont avec. J’ai envie de bosser avec des « pourquoi », plus avec des « comment », de troquer mon costume tape à l’œil de dresseur d’animaux sauvages contre la boîte d’aquarelle du peintre animalier.
Bref. Quand je pose mes doigts sur un clavier, aujourd’hui, je pense régulièrement au cinoche. Je veux bien faire des efforts, aller dans les salons et sourire pour séduire, écrire des dossiers et attendre, attendre, attendre qu’une réponse arrive et que je puisse écarter un peu les parois de ma cage. J’ai pondu des synopsis, des notes d’intention. Je me dis que peut-être des producteurs et/ou des distributeurs pourraient être intéressés de savoir ce que Biroute, le montreur de trous de balle en fleurs, pourrait faire dans un genre différent, avec des moyens un peu différents et surtout, une ambition différente. J’espère. Mais, à ce jeu-là, je suis un petit Padawan. Je ne sais pas comment m’y prendre. Il s’allume comment, le sabre-laser ?
Bon, allez, tais-toi, machin et retourne monter le best-of de tes scènes de uc pour la compilation promotionnelle qui passera cet été sur les écrans plasma des clubs libertins du Cap d’Agde. Ca, au moins, tu sais faire.
PS n°1: 12:26. L’ami Christophe Lemaire vient de réagir à ce post sur Facebook. « Dans ma chronique dvd de « la vie d’Adèle » du dernier rock & folk (en kiosque jusqu’à mi avril) je clos le papier en ces termes : » …. reste la vraie chance qu’a eu Abdellatif Kechiche : avoir eu le temps et les moyens pour tourner ce mélo de mœurs, certes racé, mais que d’autres auraient probablement tout aussi réussi. Donner donc autant de sous et de jours de tournage au (bon) cinéaste porno John B Root, et lui aussi aurait pu revenir de Cannes en bombant le torse ! » Merci Christophe. 🙂
PS n°2. Ca me rappelle une anecdote. Quand j’ai réalisé le clip pour Aufgang, au printemps, l’agent a été un peu déçu. « Il est pas assez sexuel, ton clip ! » Exact, j’avais tourné très peu d’images sexe. Il me semblait que ça aurait détourné l’attention, fait du buzz facile, été vulgaire. Soit on fait du porn, soit on travaille dans l’évocation, l’understatement. C’est cette deuxième voie qui me titille, aujourd’hui.
https://vimeo.com/81881711
Il est en kiosques, ne le ratez pas car il contient le DVD de l' »Intégrale Hard » de « Des filles libres ».
Plus de photos, plus de vidéos ? www.explicite-art.com
Je t’avais envoyé via FB une question (presque) dans ce sens il y a quelques mois. N’y a t-il vraiment rien à faire avec C+ dans un premier temps ? Peut-être suis-je naïf mais un téléfilm non porno à petit budget, avec notamment des actrices x ravies de tourner autre chose et d’apprendre de vrais dialogues, avec un peu de sexe (ou pas) mais rien en tout cas qui implique un passage après minuit… impossible ?
Hmmm. C’est un autre marché, d’autres contacts, que je ne connais pas. Je ne suis pas du sérail. Je rencontre des prods et des distributeurs ciné, en ce moment. Mais tout va très lentement. Bien sûr, j’aimerais prendre cette voie-là. Mon film de cet été, « Les hirondelles » avait été pensé comme ça. Comme un film non X… Mais… :/